dimanche 22 janvier 2017

DOSSIER SPECIAL : Le Cancer Gastrique Héréditaire Diffus (CGHD)


Focus sur le Cancer Gastrique Héréditaire

Auteur : Dr G Le Roux, chirurgien digestif et HBP - 2017




Le cancer de l'estomac :

Le cancer de l'estomac présente une incidence (nombre de nouveaux cas chaque année) en baisse depuis une trentaine d'années avec 6580 cas déclarés en 2015 en France.

La mortalité imputée au cancer gastrique est également en diminution depuis plusieurs années mais le cancer de l'estomac demeure toutefois de mauvais pronostic.

Le sex-ratio est de 2,7 en défaveur des hommes avec une incidence de 6,7/100.000 hommes et 2,6/100.000 femmes.

Dans 90% des cas, le cancer de l'estomac est un adénocarcinome (cancer de l'épithélium glandulaire = de la muqueuse qui recouvre la paroi interne de l'estomac).

1 à 3% des cancers de l'estomac seraient de type héréditaire, dus à une anomalie génétique faisant encourir au porteur et à sa descendance un risque accru voire très important de développer un cancer gastrique au cours de sa vie.

Formes héréditaires syndromiques et non syndromiques :

Il faut distinguer les cancers héréditaires dit syndromiques des cancer héréditaires non syndromiques.

Dans les formes syndromiques, le risque de développer un cancer gastrique est plus important que celui de la population générale mais n'est pas au premier plan. Ces formes syndromiques sont representées majoritairement par les syndromes de :

Li Frauemeni (risque prédominant de sarcomes, tumeurs cérébrales, mammaires et surrénales)
Lynch ou HNPCC (risque prédominant de cancer colo-rectal, endomètre,ovaires,voies urinaires...)
Peutz-Jeghers (risque prédominant de cancer ovaire, testicule et col utérin)
la poplypose juvénile (risque prédominant de cancer colo-rectal et tractus digestif supérieur)
la polypose adénomateuse 
la polypose adénomateuse familiale (risque prédominant de CCR, desmoïdes,SNC...)
le cancer héréditaire sein/ovaire 
le syndrome de Cowden (risque prédominant de K du sein, endomètre et thyroïde)

Dans les formes syndromiques, le cancer gastrique est majoritairement de type intestinal (type histologique classique).

Dans les formes non syndromiques, le risque de développer un cancer de l'estomac est très important et ce de façon exclusive ou largement prédominante.

Dans les formes non syndromiques le type histologique est exclusivement diffus.

Mutation du gène CDH 1 codant pour l'E-cadhérine :

La mutation du gène CDH 1 est très rare, plus de 155 mutations sont actuellement identifiées.
Le gène CDH 1 est localisé sur le bras long du chromosome 16 au niveau du locus 16q22.1, il code pour une glycoprotéine trans-membranaire, l' E-cadhérine, qui joue un rôle majeur dans l'adhésion intercellulaires, la polarité cellulaire et de fait l'architecture cellulaire.

La mutation de ce gène est responsable d'une anomalie de la synthèse de l'E-cadhérine qui expose alors à un risque très important de développer un cancer gastrique.

La mutation du gène CDH 1 représente 40% des formes non syndromiques de cancer gastrique héréditaires, les autres formes pouvant être dues à des mutations du gène CDH 1 encore inconnues ou à d'autres mutations.

La mutation du gène CDH 1 a été décrite pour la première fois en 1998 au sein de 3 familles Maori en Nouvelle Zélande présentant de nombreux cas de cancers de l'estomac.

La transmission héréditaire se fait sur le mode autosomique dominant (TAD), c'est à dire et pour simplifier que le risque du porteur de la mutation de transmettre le gène défectueux et la maladie à sa descendance est de 50% soit 1 sur 2.

Le cancer gastrique diffus (CGD) :

La particularité du cancer gastrique dans cette situation (mutation CDH 1) est d'être une forme histologique diffuse avec des cellules cancéreuses très particulières que l'on appelle cellules indépendantes ou en bague à chaton.

La forme diffuse de cancer gastrique est beaucoup plus sévère que la forme habituelle de cancer de l'estomac qui est dite de type intestinale (classification de Lauren).

Quel est le risque de développer un cancer de l'estomac ?

Quand on est porteur de la mutation CDH 1 le risque cumulé de développer un cancer de l'estomac au cours de sa vie est très important. Le risque est évalué pour l'homme à 80 ans à 70% et à 56% pour la femme. 

La femme présente également un risque augmenté de développer un cancer lobulaire du sein (forme histologique particulière) évalué à 42%.
Le risque combiné de cancer de l'estomac et de cancer du sein pour la femme est très important, au alentours de 80%.

Quand y penser ?

Dans une famille où il y a plusieurs cas de cancers gastriques de type diffus ou de cancers lobulaires du sein et d'autant plus que les cas déclarés le seront à un âge jeune (40-50 ans), il  faudra évoquer la possibilité d'une mutation germinale du gène CDH 1 et déclencher une enquête onco-génétique.

La consultation d'onco-génétique :

La consultation d'onco-génétique est réalisée dans un centre agréé par le ministère de la santé et la recherche de la mutation s'effectue après le consentement écrit de l'individu ou des ses ayants droit selon la loi 2004-800 du 6 août 2004.

La recherche de la mutation s'effectue initialement à partir du malade ayant déclaré le cancer gastrique diffus (le probant). Si ce dernier est décédé, la recherche peut être effectuée à partir des tissus anatomopathologiques antérieurement prélévés (pièces de gastrectomies ou éventuellement biopsies).

Une fois la mutation identifiée, la recherche peut alors se poursuivre chez les apparentés (membres de la famille).

La recherche de la mutation se fait à partir d'un simple prélévement sanguin et devra si elle est positive faire l'objet d'une vérification par un deuxième prélèvement.

Pour les enfants de ces familles, la recherche de la mutation est proposée à partir de 16-18 ans car le risque de développer un cancer gastrique avant l'âge de 20 ans est exceptionnel.

Si le sujet testé est porteur de la mutation une gastrectomie totale prophylactique devra toujours être proposée mais après un bilan endoscopique (fibroscopie oeso-gastro-duodénale) réalisé dans des conditions rigoureuses (multiples biopsies sytématiques).

Les lésions cancéreuses dans cette situation sont très difficiles à mettre en évidence par la fibroscopie car au stade précoce elles sont très petites (moins de 1mm) et profondement situées dans la paroi gastrique. 

La surveillance endoscopique devra être réalisée tous les ans jusqu'à la réalisation de la gastrectomie.

Pourquoi proposer la gastrectomie totale prophylactique ?

Elle évite de developper un cancer gastrique diffus.

Chez les sujets présentant la mutation du gène CDH 1 le risque de développer un cancer gastrique est très important (70%).

Le pronostic une fois la maladie déclarée et découverte à stade avancé est très mauvais (4% de survie à 5 ans).

La surveillance endoscopique est peu performante avec moins de 6% de lésions détectables.
92% des pièces de gastrectomies totales prophylactiques comportent déjà des foyers microscopiques tumoraux.

Le risque opératoire de la gastrectomie totale est maitrisé et acceptable.

La qualité de vie (QOL) après gastrectomie totale est satisfaisante.

Quand proposer la gastrectomie totale prophylactique ?

Il semble raisonnable de proposer la réalisation de ce geste entre 20 et 30 ans ou dès que la preuve de la mutation est faite chez les individus plus agés (>30 ans) après bilan endoscopique et préopératoire.

L'âge moyen de déclaration de la maladie (symptômes, formes avancées) est de 38 ans.

Il apparait risqué, sauf nécessité, de réaliser le geste avant 20 ans ou plus tôt car la gastrectomie totale risquerait, chez les sujets jeunes d'entrainer des troubles nutritionels ou métaboliques sévères et de retard de croissance.

Comment faire la gastrectomie totale prophylactique ?

Elle peut être réalisée par voie ouverte (laparotomie) ou mini-invasive (cœlioscopie) selon les habitudes des équipes chirurgicales.

Aucun essai ne peut actuellement valider la supériorité de l'une ou l'autre des techniques. Cependant, l'abord mini-invasif dans cette situation apporte des avantages certains (aggression chirurgicale moindre, pertes sanguines, douleurs post-opératoires et durée de séjour réduites).

La gastrectomie totale devra également être associée à un curage des ganglions périgastriques de type D1.

Il est impératif durant l'intervention de s'assurer de l'ablation de l'ensemble de l'estomac et de la muqueuse gastrique par une endoscopie de repérage per-opératoire des tranches de sections duodénale et oesophagienne ou d'un examen anatomopathologique extemporané (au microscope, durant l'opération).

Quasi aucun cas de récidive de la maladie n'a été décrit dans la littérature médicale après gastrectomie prophylactique (1 cas décrit, mais la gastrectomie réalisée était partielle).

La reconstruction est réalisée principalement par une anse montée en Y (cf schémas explicatifs gastrectomies).

Plus de 80 types de reconstructions sont décrits dans la littérature médicale et certains préconisent la réalisation d'un réservoir (néo-estomac) afin d'améliorer le résultat fonctionnel après gastrectomie totale, ces interventions sont en général plus morbide avec un risque de complications post-opératoires (fistules...) plus important.

Comment vivre après la gastrectomie totale prophylactique ?

A terme, la qualité de vie est jugée plutôt bonne voire normale.

La perte de poids est systématique, aux alentours de 15% du poids préopératoire et se stabilise entre le 6ème et le 12ème mois post-opératoire.

Un suivi nutritionnel et métabolique est indispensable avec une supplémentation intra-musculaire ou intra-veineuse de vitamine B12.
Parfois une supplementation en vitamines B9, D, en calcium ou en fer peut être nécessaire.

La surveillance oncologique est également nécessaire (92% de micro-foyers cancereux) sur les pièces de gastrectomie.

Pour les femmes, une surveillance mammaire par IRM annuelle plutôt que mammographie est recommandée à partir de l'âge de 30 ans.

Si dans les familles il y a également des cas de cancers du colon et du rectum, la surveillance endoscopique colo-rectale devra être proposée à tous à partir de l'âge de 40 ans.

Que faire si je veux des enfants ?

Vous pouvez avoir des enfants tout en sachant que vous avez 1 risque sur 2 de transmettre la mutation CDH 1.

Il faudra leur proposer alors un test génétique à partir de l'âge de 16-18 ans.

N'hésitez pas à contacter votre onco-généticien au sujet du diagnostic pré-natal ou pré-implantatoire.

A retenir :

Forme héréditaire non syndromique
La mutation CDH 1 est très rare (1% des cancers de l'estomac)
Anomalie de l'E-cadhérine jouant un rôle dans l'adhésion cellulaire
Risque très important de cancer gastrique diffus et mammaire pour la femme
Y penser quand agrégation familiale de cancer gastrique diffus ou à un jeune âge
Prise en charge multidisciplinaire (Gastro, Onco-généticien, Chirurgien, Psychologue, Diététicien)
Consultation d'onco-génétique dans un centre agréé auprès du ministère
Test génétique à partir de 16-18 ans, après consentement écrit (loi 2004)
Gastrectomie prophylactique à faire entre 20 et 30 ans
Qualité de vie satisfaisante après gastrectomie totale (poids plus faible de 15%)
Suivi nutritionnel et oncologique
Chez la femme, surveillance mammaire par IRM annuelle à partir de 30 ans


Pour en savoir plus :